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LA FORTUNE DES ROUGON.

habitués aux tapages périodiques qui éclataient dans la chambre des époux. Ils s’assommaient consciencieusement ; la femme tapait en mère qui corrige son galopin ; mais le mari, traître et haineux, calculait ses coups et, à plusieurs reprises, il faillit estropier la malheureuse.

— Tu seras bien avancé, quand tu m’auras cassé une jambe ou un bras, lui disait-elle. Qui te nourrira, fainéant ?

À part ces scènes de violence, Antoine commençait à trouver supportable son existence nouvelle. Il était bien vêtu, mangeait à sa faim, buvait à sa soif. Il avait complétement mis de côté la vannerie ; parfois, quand il s’ennuyait par trop, il se promettait de tresser, pour le prochain marché, une douzaine de corbeilles ; mais, souvent, il ne terminait seulement pas la première. Il garda, sous un canapé, un paquet d’osier qu’il n’usa pas en vingt ans.

Les Macquart eurent trois enfants : deux filles et un garçon.

Lisa, née la première, en 1827, un an après le mariage, resta peu au logis. C’était une grosse et belle enfant, très-saine, toute sanguine, qui ressemblait beaucoup à sa mère. Mais elle ne devait pas avoir son dévouement de bête de somme. Macquart avait mis en elle un besoin de bien-être très-arrêté. Tout enfant, elle consentait à travailler une journée entière pour avoir un gâteau. Elle n’avait pas sept ans, qu’elle fut prise en amitié par la directrice des postes, une voisine. Celle-ci en fit une petite bonne. Lorsqu’elle perdit son mari, en 1839, et qu’elle alla se retirer à Paris, elle emmena Lisa avec elle. Les parents la lui avaient comme donnée.

La seconde fille, Gervaise, née l’année suivante, était bancale de naissance. Conçue dans l’ivresse, sans doute pendant une de ces nuits honteuses où les époux s’assommaient, elle avait la cuisse droite déviée et amaigrie, étrange repro-