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LA FORTUNE DES ROUGON.

sèche. Bien qu’il eût une grande ressemblance physique avec sa mère, il tenait de son père un cerveau étroit et juste, aimant d’instinct la vie réglée, les calculs certains du petit commerce. Trois mois après son entrée chez lui, Pierre, continuant son système de compensation, lui donna en mariage Marthe, sa fille cadette, dont il ne savait comment se débarrasser. Les deux jeunes gens s’étaient aimés tout d’un coup, en quelques jours. Une circonstance singulière avait sans doute déterminé et grandi leur tendresse : ils se ressemblaient étonnamment, d’une ressemblance étroite de frère et de sœur. François, par Ursule, avait le visage d’Adélaïde, l’aïeule. Le cas de Marthe était plus curieux, elle était également tout le portrait d’Adélaïde, bien que Pierre Rougon n’eût aucun trait de sa mère nettement accusé ; la ressemblance physique avait ici sauté par-dessus Pierre, pour reparaître chez sa fille, avec plus d’énergie. D’ailleurs, la fraternité des jeunes époux s’arrêtait au visage ; si l’on retrouvait dans François le digne fils du chapelier Mouret, rangé et un peu lourd de sang, Marthe avait l’effarement, le détraquement intérieur de sa grand’mère, dont elle était à distance l’étrange et exacte reproduction. Peut-être fut-ce à la fois leur ressemblance physique et leur dissemblance morale qui les jetèrent aux bras l’un de l’autre. De 1840 à 1844, ils eurent trois enfants. François resta chez son oncle jusqu’au jour où celui-ci se retira. Pierre voulait lui céder son fonds, mais le jeune homme savait à quoi s’en tenir sur les chances de fortune que le commerce présentait à Plassans ; il refusa et alla s’établir à Marseille, avec ses quelques économies.

Macquart dut vite renoncer à entraîner dans sa campagne contre les Rougon ce gros garçon laborieux, qu’il traitait d’avare et de sournois, par une rancune de fainéant. Mais il crut découvrir le complice qu’il cherchait dans le second fils Mouret, Silvère, un enfant âgé de quinze ans. Lorsqu’on trouva Mouret pendu dans les jupes de sa femme, le petit