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LES ROUGON-MACQUART.

nouveau, il fit fausse route en appelant sa mère « vieille coquine » devant Silvère. Il alla jusqu’à lui raconter les anciens scandales de la pauvre vieille. Le jeune homme, rouge de honte, l’écouta sans l’interrompre. Il ne lui demandait pas ces choses, il fut navré d’une pareille confidence, qui le blessait dans ses tendresses respectueuses pour tante Dide. À partir de ce jour, il entoura sa grand’mère de plus de soins, il eut pour elle de bons sourires et de bons regards de pardon. D’ailleurs, Macquart s’était aperçu qu’il avait commis une bêtise, et il s’efforçait d’utiliser les tendresses de Silvère en accusant les Rougon de l’isolement et de la pauvreté d’Adélaïde. À l’entendre, lui avait toujours été le meilleur des fils, mais son frère s’était conduit d’une façon ignoble ; il avait dépouillé sa mère, et aujourd’hui qu’elle n’avait plus le sou, il rougissait d’elle. C’était, sur ce sujet, des bavardages sans fin. Silvère s’indignait contre l’oncle Pierre, au grand contentement de l’oncle Antoine.

À chaque visite du jeune homme, les mêmes scènes se reproduisaient. Il arrivait, le soir, pendant le dîner de la famille Macquart. Le père avalait quelque ragoût de pommes de terre en grognant. Il triait les morceaux de lard, et suivait des yeux le plat, lorsqu’il passait aux mains de Jean et de Gervaise.

— Tu vois, Silvère, disait-il avec une rage sourde qu’il cachait mal sous un air d’indifférence ironique, encore des pommes de terre, toujours des pommes de terre ! Nous ne mangeons plus que de ça. La viande, c’est pour les riches. Il devient impossible de joindre les deux bouts, avec des enfants qui ont un appétit de tous les diables.

Gervaise et Jean baissaient le nez dans leur assiette, n’osant plus se couper du pain. Silvère, vivant au ciel dans son rêve, ne se rendait nullement compte de la situation. Il prononçait d’une voix tranquille ces paroles grosses d’orage :