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LA FORTUNE DES ROUGON.

ce matin un poulet à la halle… Ils mangent du poulet, ces voleurs d’héritage !

— Tante Dide, répondait Silvère, prétend que mon oncle Pierre a été bon pour vous, à votre retour du service. N’a-t-il pas dépensé une forte somme pour vous habiller et vous loger ?

— Une forte somme ! hurlait Macquart exaspéré. Ta grand’mère est folle !… Ce sont ces brigands qui ont fait courir ces bruits-là, afin de me fermer la bouche. Je n’ai rien reçu.

Fine intervenait encore maladroitement, rappelant à son mari qu’il avait eu deux cents francs, plus un vêtement complet et une année de loyer. Antoine lui criait de se taire, il continuait avec une furie croissante :

— Deux cents francs ! la belle affaire ! c’est mon dû que je veux, c’est dix mille francs. Ah ! oui, parlons du bouge où ils m’ont jeté comme un chien, et de la vieille redingote que Pierre m’a donnée, parce qu’il n’osait plus la mettre, tant elle était sale et trouée !

Il mentait ; mais personne, devant sa colère, ne protestait plus. Puis, se tournant vers Silvère :

— Tu es encore bien naïf, toi, de les défendre ! ajoutait-il. Ils ont dépouillé ta mère, et la brave femme ne serait pas morte, si elle avait eu de quoi se soigner.

— Non, vous n’êtes pas juste, mon oncle, disait le jeune homme, ma mère n’est pas morte faute de soins, et je sais que jamais mon père n’aurait accepté un sou de la famille de sa femme.

— Baste ! laisse-moi donc tranquille ! Ton père aurait pris l’argent tout comme un autre. Nous avons été dévalisés indignement, nous devons rentrer dans notre bien.

Et Macquart recommençait pour la centième fois l’histoire des cinquante mille francs. Son neveu, qui la savait par cœur, ornée de toutes les variantes dont il l’enjolivait, l’écoutait avec quelque impatience.