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LES ROUGON-MACQUART.

capituler d’une façon honorable. Comme les brouhahas de la foule croissaient, il se rendit sur le balcon, où toutes les personnes présentes le suivirent. Peu à peu le silence se fit. En bas, dans la masse noire et frissonnante des insurgés, les fusils et les faux luisaient au clair de lune.

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? cria le maire d’une voix forte.

Alors, un homme en paletot, un propriétaire de la Palud, s’avança.

— Ouvrez la porte, dit-il sans répondre aux questions de M. Garçonnet. Évitez une lutte fratricide.

— Je vous somme de vous retirer, reprit le maire. Je proteste au nom de la loi.

Ces paroles soulevèrent dans la foule des clameurs assourdissantes. Quand le tumulte fut un peu calmé, des interpellations véhémentes montèrent jusqu’au balcon. Des voix crièrent :

— C’est au nom de la loi que nous sommes venus.

— Votre devoir, comme fonctionnaire, est de faire respecter la loi fondamentale du pays, la constitution, qui vient d’être outrageusement violée.

— Vive la constitution ! vive la république !

Et comme M. Garçonnet essayait de se faire entendre et continuait à invoquer sa qualité de fonctionnaire, le propriétaire de la Palud, qui était resté au bas du balcon, l’interrompit avec une grande énergie.

— Vous n’êtes plus, dit-il, que le fonctionnaire d’un fonctionnaire déchu ; nous venons vous casser de vos fonctions.

Jusque-là, le commandant Sicardot avait terriblement mordu ses moustaches, en mâchant de sourdes injures. La vue des bâtons et des faux l’exaspérait ; il faisait des efforts inouïs pour ne pas traiter comme ils le méritaient ces soldats de quatre sous qui n’avaient pas même chacun un fusil. Mais