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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Bonjour, Miette.

Le son étrange de leurs voix les étonna. Elles avaient pris une sourde et singulière douceur dans ce trou humide. Il leur semblait qu’elles venaient de très-loin, avec ce chant léger des voix entendues le soir dans la campagne. Ils comprirent qu’il leur suffirait de parler bas pour s’entendre. Le puits résonnait au moindre souffle. Accoudés aux margelles, penchés et se regardant, ils causèrent. Miette dit combien elle avait eu du chagrin depuis huit jours. Elle travaillait à l’autre bout du Jas et ne pouvait s’échapper que le matin de bonne heure. En disant cela, elle faisait une moue de dépit que Silvère distinguait parfaitement, et à laquelle il répondait par un balancement de tête irrité. Ils se faisaient leurs confidences, comme s’ils se fussent trouvés face à face, avec les gestes et les expressions de physionomie que demandaient les paroles. Peu leur importait le mur qui les séparait, maintenant qu’ils se voyaient là-bas, dans ces profondeurs discrètes.

— Je savais, continua Miette avec une mine futée, que tu tirais de l’eau chaque jour à la même heure. J’entends, de la maison, grincer la poulie. Alors j’ai inventé un prétexte, j’ai prétendu que l’eau de ce puits cuisait mieux les légumes. Je me disais que je viendrais en puiser tous les matins en même temps que toi, et que je pourrais te dire bonjour, sans que personne s’en doutât.

Elle eut un rire d’innocente qui s’applaudit de sa ruse, et elle termina en disant :

— Mais je ne m’imaginais pas que nous nous verrions dans l’eau.

C’était là, en effet, la joie inespérée qui les ravissait. Ils ne parlaient guère que pour voir remuer leurs lèvres, tant ce jeu nouveau amusait l’enfance qui était encore en eux. Aussi se promirent-ils sur tous les tons de ne jamais manquer au rendez-vous matinal. Quand Miette eut déclaré qu’il