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LES ROUGON-MACQUART.

aperçut Miette penchée sur la margelle, regardant dans le puits, tout absorbée par l’attente. Alors, il gagna en deux enjambées l’enfoncement formé par le mur, et, de là, il appela : « Miette ! Miette ! » d’une voix adoucie qui la fit tressaillir. Elle leva la tête, le croyant sur le chaperon du mur. Puis, quand elle le vit dans le Jas, à quelques pas d’elle, elle eut un léger cri d’étonnement, elle accourut. Ils se prirent les mains ; ils se contemplaient, ravis d’être si près l’un de l’autre, se trouvant bien plus beaux ainsi, dans la lumière chaude du soleil. C’était la mi-août, le jour de l’Assomption ; au loin les cloches sonnaient, dans cet air limpide des grandes fêtes, qui semble avoir des souffles particuliers de gaietés blondes.

— Bonjour, Silvère !

— Bonjour, Miette !

Et la voix dont ils échangèrent leur salut matinal les étonna. Ils n’en connaissaient les sons que voilés par l’écho du puits. Elle leur parut claire comme un chant d’alouette. Ah ! qu’il faisait bon dans ce coin tiède, dans cet air de fête ! Ils se tenaient toujours les mains, Silvère le dos appuyé, contre le mur, Miette penchée un peu en arrière. Entre eux, leur sourire mettait une clarté. Ils allaient se dire toutes les bonnes choses qu’ils n’avaient point osé confier aux sonorités sourdes du puits, lorsque Silvère, tournant la tête à un léger bruit, pâlit et lâcha les mains de Miette. Il venait de voir tante Dide devant lui, droite, arrêtée sur le seuil de la porte.

La grand’mère était venue par hasard au puits. En apercevant, dans la vieille muraille noire, la trouée blanche de la porte que Silvère avait ouverte toute grande, elle reçut au cœur un coup violent. Cette trouée blanche lui semblait un abîme de lumière creusé brutalement dans son passé. Elle se revit au milieu des clartés du matin, accourant, passant le seuil avec tout l’emportement de ses amours ner-