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LA FORTUNE DES ROUGON.

homme et tirer des coups de fusil. Il me semble que cela me ferait du bien.

Et, comme Silvère gardait le silence, elle vit qu’elle l’avait mécontenté. Toute sa fièvre tomba. Elle balbutia d’une voix suppliante :

— Tu ne m’en veux pas ? C’est ton départ qui me chagrine et qui me jette à ces idées-là. Je sais bien que tu as raison, que je dois être humble…

Elle se mit à pleurer. Silvère, ému, prit ses mains qu’il baisa.

— Voyons, dit-il tendrement, tu vas de la colère aux larmes comme une enfant. Il faut être raisonnable. Je ne te gronde pas… Je voudrais simplement te voir plus heureuse, et cela dépend beaucoup de toi.

Le drame dont Miette venait d’évoquer si douloureusement le souvenir, laissa les amoureux tout attristés pendant quelques minutes. Ils continuèrent à marcher, la tête basse, troublés par leurs pensées. Au bout d’un instant :

— Me crois-tu beaucoup plus heureux que toi ? demanda Silvère, revenant malgré lui à la conversation. Si ma grand’mère ne m’avait pas recueilli et élevé, que serais-je devenu ? À part l’oncle Antoine, qui est ouvrier comme moi et qui m’a appris à aimer la république, tous mes autres parents ont l’air de craindre que je ne les salisse, quand je passe à côté d’eux.

Il s’animait en parlant ; il s’était arrêté, retenant Miette au milieu de la route.

— Dieu m’est témoin, continua-t-il, que je n’envie et que je ne déteste personne. Mais, si nous triomphons, il faudra que je leur dise leur fait, à ces beaux messieurs. C’est l’oncle Antoine qui en sait long là-dessus. Tu verras à notre retour. Nous vivrons tous libres et heureux.

Miette l’entraîna doucement. Ils se remirent à marcher.