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LES ROUGON-MACQUART.

blanche, de cette porte béante sur les jours à jamais disparus.

Elle allait se retirer, fermer la porte maudite, sans chercher même à connaître la main qui l’avait violée, lorsqu’elle aperçut Miette et Silvère. La vue des deux enfants amoureux qui attendaient son regard, confus, la tête baissée, la retint sur le seuil, prise d’une douleur plus vive. Elle comprenait maintenant. Jusqu’au bout, elle devait se retrouver, elle et Macquart, aux bras l’un de l’autre, dans la claire matinée. Une seconde fois, la porte était complice. Par où l’amour avait passé, l’amour passait de nouveau. C’était l’éternel recommencement, avec ses joies présentes et ses larmes futures. Tante Dide ne vit que les larmes, et elle eut comme un pressentiment rapide qui lui montra les deux enfants saignants, frappés au cœur. Toute secouée par le souvenir des souffrances de sa vie, que ce lieu venait de réveiller en elle, elle pleura son cher Silvère. Elle seule était coupable ; si elle n’avait pas jadis troué la muraille, Silvère ne serait point dans ce coin perdu, aux pieds d’une fille, à se griser d’un bonheur qui irrite la mort et la rend jalouse.

Au bout d’un silence, elle vint, sans dire un mot, prendre le jeune homme par la main. Peut-être les eût-elle laissés là à jaser au pied du mur, si elle ne s’était sentie complice de ces douceurs mortelles. Comme elle rentrait avec Silvère, elle se retourna, en entendant le pas léger de Miette qui s’était hâtée de reprendre sa cruche et de fuir à travers le chaume. Elle courait follement, heureuse d’en être quitte à si bon marché. Tante Dide eut un sourire involontaire, à la voir traverser le champ comme une chèvre échappée.

— Elle est bien jeune, murmura-t-elle. Elle a le temps.

Sans doute, elle voulait dire que Miette avait le temps de souffrir et de pleurer. Puis, reportant ses yeux sur Silvère, qui avait suivi avec extase la course de l’enfant dans le soleil limpide, elle ajouta simplement :