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LES ROUGON-MACQUART.

d’une ponctualité rare. Elle couchait heureusement au-dessus de la cuisine, dans une chambre où l’on serrait, avant son arrivée, les provisions d’hiver, et à laquelle conduisait un petit escalier particulier. Elle pouvait ainsi sortir à toute heure sans être vue du père Rébufat ni de Justin. Elle comptait d’ailleurs, si ce dernier la voyait jamais rentrer, lui faire quelque histoire, en le regardant de cet air dur qui lui fermait la bouche.

Ah ! quelles heureuses et tièdes soirées ! On était alors dans les premiers jours de septembre, mois de clair soleil en Provence. Les amoureux ne pouvaient guère se rejoindre que vers neuf heures. Miette arrivait par son mur. Elle acquit bientôt une telle habileté à franchir cet obstacle, qu’elle était presque toujours sur l’ancienne pierre tombale avant que Silvère lui eût tendu les bras. Et elle riait de son tour de force, elle restait là un instant, essoufflée, décoiffée, donnant de petites tapes sur sa jupe pour la faire retomber. Son amoureux l’appelait en riant « méchant galopin ». Au fond, il aimait la crânerie de l’enfant. Il la regardait sauter son mur avec la complaisance d’un frère aîné qui assiste aux exercices d’un de ses jeunes frères. Il y avait tant de puérilité dans leur tendresse naissante ! À plusieurs reprises, ils firent le projet d’aller un jour dénicher des oiseaux, au bord de la Viorne.

— Tu verras comme je monte aux arbres ! disait Miette orgueilleusement. Quand j’étais à Chavanoz, j’allais jusqu’en haut des noyers du père André. Est-ce que tu as jamais déniché des pies, toi ? C’est ça qui est difficile !

Et une discussion s’engageait sur la façon de grimper le long des peupliers. Miette donnait son avis nettement, comme un garçon.

Mais Silvère, la prenant par les genoux, l’avait descendue à terre, et ils marchaient côte à côte, les bras à la taille. Tout en se querellant sur la manière dont on doit poser les pieds