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LA FORTUNE DES ROUGON.

dans la pelisse, les joues bleuies, les yeux pleurant de froid ; et ils riaient, tout secoués de gaieté par leur marche rapide dans l’air glacé. Un soir de neige, ils s’amusèrent à faire une énorme boule qu’ils roulèrent dans un coin ; elle resta là un grand mois, ce qui les fit s’étonner à chaque nouveau rendez-vous. La pluie ne les effrayait pas davantage. Ils se virent par de terribles averses qui les mouillaient jusqu’aux os. Silvère accourait en se disant que Miette ne ferait pas la folie de venir ; et quand Miette arrivait à son tour, il ne savait plus comment la gronder. Au fond, il l’attendait. Il finit par chercher un abri contre le mauvais temps, sentant bien qu’ils sortiraient quand même, malgré leur promesse mutuelle de ne pas mettre les pieds dehors lorsqu’il pleuvait. Pour trouver un toit, il n’eut qu’à creuser un des tas de planches ; il en retira quelques morceaux de bois, qu’il rendit mobiles, de façon à pouvoir les déplacer et les replacer aisément. Dès lors, les amoureux eurent à leur disposition une sorte de guérite basse et étroite, un trou carré, où ils ne pouvaient tenir que serrés l’un contre l’autre, assis sur le bout d’un madrier, qu’ils laissaient au fond de la logette. Quand l’eau tombait, le premier arrivé se réfugiait là ; et, lorsqu’ils s’y trouvaient réunis, ils écoutaient avec une jouissance infinie l’averse qui battait sur le tas de planches de sourds roulements de tambour. Devant eux, autour d’eux, dans le noir d’encre de la nuit, il y avait un grand ruissellement qu’ils ne voyaient pas, et dont le bruit continu ressemblait à la voix haute d’une foule. Ils étaient bien seuls cependant, au bout du monde, au fond des eaux. Jamais ils ne se sentaient aussi heureux, aussi séparés des autres, qu’au milieu de ce déluge, dans ce tas de planches, menacés à chaque instant d’être emportés par les torrents du ciel. Leurs genoux repliés arrivaient presque au ras de l’ouverture, et ils s’enfonçaient le plus possible, les joues et les mains baignées