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LES ROUGON-MACQUART.

songeait plus que son amoureux devait la quitter dans une heure, pour longtemps, pour toujours peut-être. Ainsi qu’aux jours ordinaires, lorsqu’aucun adieu ne troublait la paix de leurs rendez-vous, ils s’endormaient dans le ravissement de leurs tendresses.

Ils allaient toujours. Ils arrivèrent bientôt à la petite traverse dont Miette avait parlé, bout de ruelle qui s’enfonce dans la campagne, menant à un village bâti au bord de la Viorne. Mais ils ne s’arrêtèrent pas, ils continuèrent à descendre en feignant de ne point voir ce sentier qu’ils s’étaient promis de ne point dépasser. Ce fut seulement quelques minutes plus loin que Silvère murmura :

— Il doit être bien tard, tu vas te fatiguer.

— Non, je te jure, je ne suis pas lasse, répondit la jeune fille. Je marcherais bien comme cela pendant des lieues.

Puis elle ajouta d’une voix câline :

— Veux-tu ? nous allons descendre jusqu’aux prés Sainte-Claire… Là, ce sera fini pour tout de bon, nous rebrousserons chemin.

Silvère, que la marche cadencée de l’enfant berçait, et qui sommeillait doucement, les yeux ouverts, ne fit aucune objection. Ils reprirent leur extase. Ils avançaient d’un pas ralenti, par crainte du moment où il leur faudrait remonter la côte ; tant qu’ils allaient devant eux, il leur semblait marcher à l’éternité de cette étreinte qui les liait l’un à l’autre ; le retour, c’était la séparation, l’adieu cruel.

Peu à peu la pente de la route devenait moins rapide. Le fond de la vallée est occupé par des prairies qui s’étendent jusqu’à la Viorne, coulant à l’autre bout, le long d’une suite de collines basses. Ces prairies, que des haies vives séparent du grand chemin, sont les prés Sainte-Claire.

— Bah ! s’écria Silvère à son tour, en apercevant les premières nappes d’herbe, nous irons bien jusqu’au pont.