Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/260

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
260
LES ROUGON-MACQUART.

négligé de prendre les plus simples précautions, passa une revue. Les contingents étaient alignés, tournant le dos à la plaine, avec le tohu-bohu étrange des costumes, vestes brunes, paletots foncés, blouses bleues, serrées par des ceintures rouges ; les armes, bizarrement mêlées, luisaient au soleil clair, les faux aiguisées de frais, les larges pelles de terrassier, les canons brunis des fusils de chasse : lorsque, au moment où le général improvisé passait à cheval devant la petite armée, une sentinelle, qu’on avait oubliée dans un champ d’oliviers, accourut en gesticulant, en criant :

— Les soldats ! les soldats !

Ce fut une émotion inexprimable. On crut d’abord à une fausse alerte. Les insurgés, oubliant toute discipline, se jetèrent en avant, coururent au bout de l’esplanade, pour voir les soldats. Les rangs furent rompus. Et quand la ligne sombre de la troupe apparut, correcte, avec le large éclair des baïonnettes, derrière le rideau grisâtre des oliviers, il y eut un mouvement de recul, une confusion qui fit passer un frisson de panique d’un bout à l’autre du plateau.

Cependant, au milieu du cours, La Palud et Saint-Martin-de-Vaulx, s’étant reformés, se tenaient farouches et debout. Un bûcheron, un géant dont la tête dépassait celle de ses compagnons, criait, en agitant sa cravate rouge : « À nous, Chavanoz, Graille, Poujols, Saint-Eutrope ! à nous, les Tulettes ! à nous, Plassans ! »

De grands courants de foule traversaient l’esplanade. L’homme au sabre, entouré des gens de Faverolles, s’éloigna, avec plusieurs contingents des campagnes, Vernoux, Corbière, Marsanne, Pruinas, pour tourner l’ennemi et le prendre de flanc. D’autres, Valqueyras, Nazères, Castel-le-Vieux, les Roches-Noires, Murdaran, se jetèrent à gauche, se dispersèrent en tirailleurs dans la plaine des Nores.