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LES ROUGON-MACQUART.

marbra la face. Elle venait, au fond d’elle, de faire ce souhait brutal : « Si les insurgés pouvaient le massacrer ! » Pierre lut sans doute cette pensée dans ses yeux.

— Ma foi ! s’il attrapait quelque balle, murmura-t-il, ça arrangerait nos affaires… On ne serait pas obligé de le déplacer, n’est-ce pas  ? et il n’y aurait rien de notre faute.

Mais Félicité, plus nerveuse, frissonnait. Il lui semblait qu’elle venait de condamner un homme à mort. Maintenant, si M. Peirotte était tué, elle le reverrait la nuit, il viendrait lui tirer les pieds. Elle ne jeta plus sur les fenêtres d’en face que des coups d’œil sournois, pleins d’une horreur voluptueuse. Et il y eut, dès lors, dans ses jouissances, une pointe d’épouvante criminelle qui les rendit plus aiguës.

D’ailleurs, Pierre, le cœur vidé, voyait à présent le mauvais côté de la situation. Il parla de Macquart. Comment se débarrasser de ce chenapan ? Mais Félicité, reprise par la fièvre du succès, s’écria :

— On ne peut pas tout faire à la fois. Nous le bâillonnerons, parbleu ! Nous trouverons bien quelque moyen…

Elle allait et venait, rangeant les fauteuils, époussetant les dossiers. Brusquement, elle s’arrêta au milieu de la pièce et, jetant un long regard sur le mobilier fané :

— Bon Dieu ! dit-elle, que c’est laid ici ! Et tout ce monde qui va venir !

— Baste ! répondit Pierre avec une superbe indifférence, nous changerons tout cela.

Lui qui, la veille, avait un respect religieux pour les fauteuils et le canapé, il serait monté dessus à pieds joints. Félicité, éprouvant le même dédain, alla jusqu’à bousculer un fauteuil dont une roulette manquait et qui ne lui obéissait pas assez vite.

Ce fut à ce moment que Roudier entra. Il sembla à la