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LES ROUGON-MACQUART.

préparé avec grand’peine, de la mairie à la rue de la Banne, sentit sa mémoire se troubler. Mais Rougon, gagné par l’émotion, l’interrompit, en lui serrant les mains, en répétant :

— Merci, mon cher Granoux, je vous remercie bien.

Il ne trouva rien autre chose. Alors il y eut une explosion de voix assourdissante. Chacun se précipita, lui tendit la main, le couvrit d’éloges et de compliments, le questionna avec âpreté. Mais lui, digne déjà comme un magistrat, demanda quelques minutes pour conférer avec MM. Granoux et Roudier. Les affaires avant tout. La ville se trouvait dans une situation si critique ! Ils se retirèrent tous trois dans un coin du salon, et là, à voix basse, ils se partagèrent le pouvoir, tandis que les habitués, éloignés de quelques pas, et jouant la discrétion, leur jetaient à la dérobée des coups d’œil où l’admiration se mêlait à la curiosité. Rougon prendrait le titre de président de la commission municipale ; Granoux serait secrétaire ; quant à Roudier, il devenait commandant en chef de la garde nationale réorganisée. Ces messieurs se jurèrent un appui mutuel, d’une solidité à toute épreuve.

Félicité, qui s’était approchée d’eux, leur demanda brusquement :

— Et Vuillet ?

Ils se regardèrent. Personne n’avait aperçu Vuillet. Rougon eut une légère grimace d’inquiétude.

— Peut-être qu’on l’a emmené avec les autres…, dit-il pour se tranquilliser.

Mais Félicité secoua la tête. Vuillet n’était pas un homme à se laisser prendre. Du moment qu’on ne le voyait pas, qu’on ne l’entendait pas, c’est qu’il faisait quelque chose de mal.

La porte s’ouvrit, Vuillet entra. Il salua humblement, avec son clignement de paupières, son sourire pincé de sa-