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LA FORTUNE DES ROUGON.

qui rôdait sur la place de la Sous-Préfecture, le nez en l’air. Elle lui fit signe de monter. Il semblait n’attendre que cet appel.

— Entre donc, lui dit sa mère sur le palier en voyant qu’il hésitait. Ton père n’est pas là.

Aristide avait l’air gauche d’un enfant prodigue. Depuis près de quatre ans, il n’était plus entré dans le salon jaune. Il tenait encore son bras en écharpe.

— Ta main te fait toujours souffrir ? lui demanda railleusement Félicité.

Il rougit, il répondit avec embarras :

— Oh ! ça va beaucoup mieux, c’est presque guéri.

Puis il resta là, tournant, ne sachant que dire. Félicité vint à son secours.

— Tu as entendu parler de la belle conduite de ton père ? reprit-elle.

Il dit que toute la ville en causait. Mais son aplomb revenait ; il rendit à sa mère sa raillerie ; il la regarda en face, en ajoutant :

— J’étais venu voir si papa n’était pas blessé.

— Tiens, ne fais pas la bête ! s’écria Félicité, avec sa pétulance. Moi, à ta place, j’agirais très-carrément. Tu t’es trompé, là, avoue-le, en t’enrôlant avec tes gueux de républicains. Aujourd’hui tu ne serais pas fâché de les lâcher et de revenir avec nous, qui sommes les plus forts. Hé ! la maison t’est ouverte !

Mais Aristide protesta. La République était une grande idée. Puis les insurgés pouvaient l’emporter.

— Laisse-moi donc tranquille ! continua la vieille femme irritée. Tu as peur que ton père te reçoive mal. Je me charge de l’affaire… Écoute-moi : tu vas aller à ton journal, tu rédigeras d’ici à demain un numéro très-favorable au coup d’État, et demain soir, quand ce numéro aura paru, tu reviendras ici, tu seras accueilli à bras ouverts.