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LES ROUGON-MACQUART.

si humble, si plat d’ordinaire. La conduite de Vuillet lui parut louche. Mais il n’eut pas le temps de chercher une explication. Il s’était à peine allongé de nouveau dans son fauteuil, que Roudier entra, en faisant sonner terriblement, sur sa cuisse, un grand sabre qu’il avait attaché à sa ceinture. Les dormeurs se réveillèrent effarés. Granoux crut à un appel aux armes.

— Hein ? quoi ? qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il, en remettant précipitamment sa calotte de soie noire dans la poche.

— Messieurs, dit Roudier essoufflé, sans songer à prendre aucune précaution oratoire, je crois qu’une bande d’insurgés s’approche de la ville.

Ces mots furent accueillis par un silence épouvanté. Rougon seul eut la force de dire :

— Vous les avez vus ?

— Non, répondit l’ancien bonnetier ; mais nous entendons d’étranges bruits dans la campagne ; un de mes hommes m’a affirmé qu’il avait aperçu des feux courant sur la pente des Garrigues.

Et, comme tous ces messieurs se regardaient avec des visages blancs et muets :

— Je retourne à mon poste, reprit-il ; j’ai peur de quelque attaque. Avisez de votre côté.

Rougon voulut courir après lui, avoir d’autres renseignements ; mais il était déjà loin. Certes, la commission n’eut pas envie de se rendormir. Des bruits étranges ! des feux ! une attaque ! et cela, au milieu de la nuit ! Aviser, c’était facile à dire, mais que faire ? Granoux faillit conseiller la même tactique qui leur avait réussi la veille : se cacher, attendre que les insurgés eussent traversé Plassans, et triompher ensuite dans les rues désertes. Pierre, heureusement, se souvenant des conseils de sa femme, dit que Roudier avait pu se tromper, et que le mieux était d’aller voir.