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LES ROUGON-MACQUART.

avait manqué ; le prince-président était au donjon de Vincennes ; Paris se trouvait entre les mains de la démagogie la plus avancée ; Marseille, Toulon, Draguignan, tout le Midi appartenait à l’armée insurrectionnelle victorieuse. Les insurgés devaient arriver le soir et massacrer Plassans.

Une députation se rendit alors à la mairie pour reprocher à la commission municipale la fermeture des portes, bonne seulement à irriter les insurgés. Rougon, qui perdait la tête, défendit son ordonnance avec ses dernières énergies ; ce double tour donné aux serrures lui semblait un des actes les plus ingénieux de son administration ; il trouva pour le justifier des paroles convaincues. Mais on l’embarrassait, on lui demandait où étaient les soldats, le régiment qu’il avait promis. Alors il mentit, il dit très-carrément qu’il n’avait rien promis du tout. L’absence de ce régiment légendaire, que les habitants désiraient au point d’en avoir rêvé l’approche, était la grande cause de la panique. Les gens bien informés citaient l’endroit exact de la route où les soldats avaient été égorgés.

À quatre heures, Rougon, suivi de Granoux, se rendit à l’hôtel Valqueyras. De petites bandes, qui rejoignaient les insurgés, à Orchères, passaient toujours au loin, dans la vallée de la Viorne. Toute la journée, des gamins avaient grimpé sur les remparts, des bourgeois étaient venus regarder par les meurtrières. Ces sentinelles volontaires entretenaient l’épouvante de la ville, en comptant tout haut les bandes, qui étaient prises pour autant de forts bataillons. Ce peuple poltron croyait assister, des créneaux, aux préparatifs de quelque massacre universel. Au crépuscule, comme la veille, la panique souffla, plus froide.

En rentrant à la mairie, Rougon et l’inséparable Granoux comprirent que la situation devenait intolérable. Pendant leur absence, un nouveau membre de la commission avait disparu. Ils n’étaient plus que quatre. Ils se sentirent ridi-