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LES ROUGON-MACQUART.

C’était un superbe article, d’une violence inouïe contre les insurgés. Jamais tant de fiel, tant de mensonges, tant d’ordures dévotes n’avaient coulé d’une plume. Vuillet commençait par faire le récit de l’entrée de la bande dans Plassans. Un pur chef-d’œuvre. On y voyait « ces bandits, ces faces patibulaires, cette écume des bagnes, » envahissant la ville, « ivres d’eau-de-vie, de luxure et de pillage ; » puis il les montrait « étalant leur cynisme dans les rues, épouvantant la population par des cris sauvages, ne cherchant que le viol et l’assassinat. » Plus loin, la scène de l’hôtel de ville et l’arrestation des autorités devenaient tout un drame atroce : « Alors, ils ont pris à la gorge les hommes les plus respectables ; et, comme Jésus, le maire, le brave commandant de la garde nationale, le directeur des postes, ce fonctionnaire si bienveillant, ont été couronnés d’épines par ces misérables, et ont reçu leurs crachats au visage. » L’alinéa consacré à Miette et à sa pelisse rouge montait en plein lyrisme. Vuillet avait vu dix, vingt filles sanglantes : « Et qui n’a pas aperçu, au milieu de ces monstres, des créatures infâmes vêtues de rouge, et qui devaient s’être roulées dans le sang des martyrs que ces brigands ont assassinés le long des routes ? Elles brandissaient des drapeaux, elles s’abandonnaient, en pleins carrefours, aux caresses ignobles de la horde tout entière. » Et Vuillet ajoutait avec une emphase biblique : « La République ne marche jamais qu’entre la prostitution et le meurtre. » Ce n’était là que la première partie de l’article ; le récit terminé, dans une péroraison virulente, le libraire demandait si le pays souffrirait plus longtemps « la honte de ces bêtes fauves qui ne respectaient ni les propriétés ni les personnes ; » il faisait un appel à tous les valeureux citoyens en disant qu’une plus longue tolérance serait un encouragement, et qu’alors les insurgés viendraient prendre « la fille dans les bras de la mère, l’épouse dans les bras de l’époux ; » enfin, après une phrase dévote dans la-