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LA FORTUNE DES ROUGON.

trahir, il pourrait vous arriver malheur. Si, au lieu de décacheter nos lettres…

Il se récria, se prétendit offensé. Mais elle, avec tranquillité :

— Je sais, je connais votre école, vous n’avouerez jamais… Voyons, pas de paroles inutiles, quel intérêt avez-vous à servir le coup d’État ?

Et, comme il parlait encore de sa parfaite honnêteté, elle finit par perdre patience.

— Vous me prenez donc pour une bête ! s’écria-t-elle. J’ai lu votre article… Vous feriez bien mieux de vous entendre avec nous.

Alors, sans rien avouer, il confessa carrément qu’il voulait avoir la clientèle du collége. Autrefois, c’était lui qui fournissait l’établissement de livres classiques. Mais on avait appris qu’il vendait, sous le manteau, des pornographies aux élèves, en si grande quantité, que les pupitres débordaient de gravures et d’œuvres obscènes. À cette occasion, il avait même failli passer en police correctionnelle. Depuis cette époque, il rêvait de rentrer en grâce auprès de l’administration, avec des rages jalouses.

Félicité parut étonnée de la modestie de son ambition. Elle le lui fit même entendre. Violer des lettres, risquer le bagne, pour vendre quelques dictionnaires !

— Eh ! dit-il d’une voix aigre, c’est une vente assurée de quatre à cinq mille francs par an. Je ne rêve pas l’impossible, comme certaines personnes.

Elle ne releva pas le mot. Il ne fut plus question des lettres décachetées. Un traité d’alliance fut conclu, par lequel Vuillet s’engageait à n’ébruiter aucune nouvelle et à ne pas se mettre en avant, à la condition que les Rougon lui feraient avoir la clientèle du collége. En le quittant, Félicité l’engagea à ne pas se compromettre davantage. Il suffisait qu’il gardât les lettres et ne les distribuât que le surlendemain.