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LA FORTUNE DES ROUGON.


— Qu’allons-nous faire, mon Dieu ! qu’allons-nous faire !… Nous sommes criblés de dettes.

— C’est ta faute ! cria Pierre en mettant dans ce cri ses dernières forces.

Les Rougon, en effet, devaient de tous les côtés. L’espérance d’un succès prochain leur avait fait perdre toute prudence. Depuis le commencement de 1851, ils s’étaient laissés aller jusqu’à offrir, chaque soir, aux habitués du salon jaune, des verres de sirop et de punch, des petits gâteaux, des collations complètes, pendant lesquelles on buvait à la mort de la république. Pierre avait, de plus, mis un quart de son capital à la disposition de la réaction, pour contribuer à l’achat des fusils et des cartouches.

— La note du pâtissier est au moins de mille francs, reprit Félicité de son ton doucereux, et nous en devons peut-être le double au liquoriste. Puis il y a le boucher, le boulanger, le fruitier…

Pierre agonisait. Félicité lui porta le dernier coup en ajoutant :

— Je ne parle pas des dix mille francs que tu as donnés pour les armes.

— Moi, moi ! balbutia-t-il, mais on m’a trompé, on m’a volé ! C’est cet imbécile de Sicardot qui m’a mis dedans, en me jurant que les Napoléon seraient vainqueurs. J’ai cru faire une avance. Mais il faudra bien que cette vieille ganache me rende mon argent.

— Eh ! on ne te rendra rien du tout, dit sa femme en haussant les épaules. Nous subirons le sort de la guerre. Quand nous aurons tout payé, il ne nous restera pas de quoi manger du pain. Ah ! c’est une jolie campagne !… Va, nous pouvons aller habiter quelque taudis du vieux quartier.

Cette dernière phrase sonna lugubrement. C’était le glas de leur existence. Pierre vit le taudis du vieux quartier,