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LES ROUGON-MACQUART.

surgés n’étaient pas loin ; mais il comptait, disait-il, sur le courage des braves gardes nationaux ; s’il le fallait, ils devaient se faire tuer jusqu’au dernier pour la défense de la bonne cause. Quand il revint de cette tournée, lentement, gravement, avec l’allure d’un héros qui a mis ordre aux affaires de sa patrie, et qui n’attend plus que la mort, il put constater une véritable stupeur sur son chemin ; les promeneurs du Cours, les petits rentiers incorrigibles qu’aucune catastrophe n’aurait pu empêcher de venir bayer au soleil, à certaines heures, le regardèrent passer d’un air ahuri, comme s’ils ne le reconnaissaient pas et qu’ils ne pussent croire qu’un des leurs, qu’un ancien marchand d’huile, eût le front de tenir tête à toute une armée.

Dans la ville, l’anxiété était à son comble. D’un instant à l’autre, on attendait la bande insurrectionnelle. Le bruit de l’évasion de Macquart fut commenté d’une effrayante façon. On prétendit qu’il avait été délivré par ses amis les rouges, et qu’il attendait la nuit, dans quelque coin, pour se jeter sur les habitants et mettre le feu aux quatre coins de la ville. Plassans, cloîtré, affolé, se dévorant lui-même dans sa prison de murailles, ne savait plus qu’inventer pour avoir peur. Les républicains, devant la fière attitude de Rougon, eurent une courte méfiance. Quant à la ville neuve, aux avocats et aux commerçants retirés, qui la veille déblatéraient contre le salon jaune, ils furent si surpris, qu’ils n’osèrent plus attaquer ouvertement un homme d’un tel courage. Ils se contentèrent de dire qu’il y avait folie à braver ainsi des insurgés victorieux et que cet héroïsme inutile allait attirer sur Plassans les plus grands malheurs. Puis, vers trois heures, ils organisèrent une députation. Pierre, qui brûlait du désir d’afficher son dévouement devant ses concitoyens, n’osait cependant pas compter sur une aussi belle occasion.

Il eut des mots sublimes. Ce fut dans le cabinet du maire