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LES ROUGON-MACQUART.

les autres bourgeois, qui l’avaient si lâchement abandonné. Et tous deux ils attendirent la nuit dans la mairie déserte.

À la même heure, Aristide se promenait chez lui d’un air profondément inquiet. L’article de Vuillet l’avait surpris. L’attitude de son père le stupéfiait. Il venait de l’apercevoir à une fenêtre, en cravate blanche, en redingote noire, si calme à l’approche du danger, que toutes ses idées étaient bouleversées dans sa pauvre tête. Pourtant les insurgés revenaient victorieux, c’était la croyance de la ville entière. Mais des doutes lui venaient, il flairait quelque farce lugubre. N’osant plus se présenter chez ses parents, il y avait envoyé sa femme. Quand Angèle revint, elle lui dit de sa voix traînante :

— Ta mère t’attend : elle n’est pas en colère du tout, mais elle a l’air de se moquer joliment de toi. Elle m’a répété à plusieurs reprises que tu pouvais remettre ton écharpe dans ta poche.

Aristide fut horriblement vexé. D’ailleurs, il courut à la rue de la Banne, prêt aux plus humbles soumissions. Sa mère se contenta de l’accueillir avec des rires de dédain.

— Ah ! mon pauvre garçon, lui dit-elle en l’apercevant, tu n’es décidément pas fort.

— Est-ce qu’on sait, dans un trou comme Plassans ! s’écria-t-il avec dépit. J’y deviens bête, ma parole d’honneur. Pas une nouvelle, et l’on grelotte. C’est d’être enfermé dans ces gredins de remparts… Ah ! si j’avais pu suivre Eugène à Paris !

Puis, amèrement, voyant que Félicité continuait à rire :

— Vous n’avez pas été gentille avec moi, ma mère. Je sais bien des choses, allez… Mon frère vous tenait au courant de ce qui se passait, et jamais vous ne m’avez donné la moindre indication utile.