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LA FORTUNE DES ROUGON.

— Tu sais cela ? toi, dit Félicité devenue sérieuse et méfiante. Eh bien, tu es alors moins bête que je ne croyais. Est-ce que tu décachetterais les lettres, comme quelqu’un de ma connaissance ?

— Non, mais j’écoute aux portes, répondit Aristide avec un grand aplomb.

Cette franchise ne déplut pas à la vieille femme. Elle se remit à sourire, et, plus douce :

— Alors, bêta, demanda-t-elle, comment se fait-il que tu ne te sois pas rallié plus tôt ?

— Ah ! voilà, dit le jeune homme, embarrassé. Je n’avais pas grande confiance en vous. Vous receviez de telles brutes : mon beau-père, Granoux et les autres !… Et puis je ne voulais pas trop m’avancer…

Il hésitait. Il reprit d’une voix inquiète :

— Aujourd’hui, vous êtes bien sûre au moins du succès du coup d’État ?

— Moi ? s’écria Félicité, que les doutes de son fils blessaient, mais je ne suis sûre de rien.

— Vous m’avez pourtant fait dire d’ôter mon écharpe ?

— Oui, parce que tous ces messieurs se moquent de toi.

Aristide resta planté sur ses pieds, le regard perdu, semblant contempler un des ramages du papier orange. Sa mère fut prise d’une brusque impatience à le voir ainsi hésitant.

— Tiens, dit-elle, j’en reviens à ma première opinion : tu n’es pas fort. Et tu aurais voulu qu’on te fît lire les lettres d’Eugène ! Mais, malheureux, avec tes continuelles incertitudes, tu aurais tout gâté. Tu es là à hésiter…

— Moi, j’hésite ? interrompit-il en jetant sur sa mère un regard clair et froid. Ah ! bien, vous ne me connaissez pas. Je mettrais le feu à la ville si j’avais envie de me chauffer les pieds. Mais comprenez donc que je ne veux pas faire