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LES ROUGON-MACQUART.

gagna le vieux quartier où, mystérieusement, il se glissa de porte en porte. Tous les républicains exaltés, tous les affiliés qui n’avaient pas suivi la bande, se trouvèrent, vers neuf heures, réunis dans un café borgne où Macquart leur avait donné rendez-vous. Quand il y eut là une cinquantaine d’hommes, il leur tint un discours où il parla d’une vengeance personnelle à satisfaire, de victoire à remporter, de joug honteux à secouer, et finit en se faisant fort de leur livrer la mairie en dix minutes. Il en sortait, elle était vide ; le drapeau rouge y flotterait cette nuit même, s’ils le voulaient. Les ouvriers se consultèrent : à cette heure, la réaction agonisait, les insurgés étaient aux portes, il serait honorable de ne pas les attendre pour reprendre le pouvoir, ce qui permettrait de les recevoir en frères, les portes grandes ouvertes, les rues et les places pavoisées. D’ailleurs, personne ne se défia de Macquart ; sa haine contre les Rougon, la vengeance personnelle dont il parlait, répondaient de sa loyauté. Il fut convenu que tous ceux qui étaient chasseurs et qui avaient chez eux un fusil iraient le chercher, et qu’à minuit, la bande se trouverait sur la place de l’hôtel de ville. Une question de détail faillit les arrêter, ils n’avaient pas de balles ; mais ils décidèrent qu’ils chargeraient leurs armes avec du plomb à perdrix, ce qui même était inutile, puisqu’ils ne devaient rencontrer aucune résistance.

Une fois encore, Plassans vit passer, dans le clair de lune muet de ses rues, des hommes armés qui filaient le long des maisons. Lorsque la bande se trouva réunie devant l’hôtel de ville, Macquart, tout en ayant l’œil au guet, s’avança hardiment. Il frappa, et quand le concierge, dont la leçon était faite, demanda ce qu’on voulait, il lui fit des menaces si épouvantables, que cet homme, feignant l’effroi, se hâta d’ouvrir. La porte tourna lentement, à deux battants. Le porche se creusa, vide et béant.

Alors Macquart cria d’une voix forte :