Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/360

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VII


Ce fut seulement le dimanche, le surlendemain de la tuerie de Sainte-Roure, que les troupes repassèrent par Plassans. Le préfet et le colonel, que M. Garçonnet avait invités à dîner, entrèrent seuls dans la ville. Les soldats firent le tour des remparts et allèrent camper dans le faubourg, sur la route de Nice. La nuit tombait ; le ciel, couvert depuis le matin, avait d’étranges reflets jaunes qui éclairaient la ville d’une clarté louche, pareille à ces lueurs cuivrées des temps d’orage. L’accueil des habitants fut peureux ; ces soldats, encore saignants, qui passaient, las et muets, dans le crépuscule sale, dégoûtèrent les petits bourgeois propres du Cours, et ces messieurs, en se reculant, se racontaient à l’oreille d’épouvantables histoires de fusillades, de représailles farouches, dont le pays a conservé la mémoire. La terreur du coup d’État commençait, terreur éperdue, écrasante, qui tint le Midi frissonnant pendant de longs mois. Plassans, dans son effroi et sa haine des insurgés, avait pu accueillir la troupe, à son premier passage, avec des cris d’enthousiasme ; mais, à cette heure, devant ce régiment