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LA FORTUNE DES ROUGON.

se mit à pousser des hurlements de bête, de cochon qu’on égorge.

— Te tairas-tu, gredin ! répéta le gendarme.

Et il lui cassa la tête. Le paysan roula comme une masse. Son cadavre alla rebondir au pied d’un tas de planches, où il resta plié sur lui-même. La violence de la secousse avait rompu la corde qui l’attachait à son compagnon. Silvère tomba à genoux devant la pierre tombale.

Rengade avait mis un raffinement de vengeance à tuer Mourgue le premier. Il jouait avec son second pistolet, il le levait lentement, goûtant l’agonie de Silvère. Celui-ci, tranquille, le regarda. La vue du borgne, dont l’œil farouche le brûlait, lui causa un malaise. Il détourna le regard, ayant peur de mourir lâchement, s’il continuait à voir cet homme frissonnant de fièvre, avec son bandeau maculé et sa moustache saignante. Mais comme il levait les yeux, il aperçut la tête de Justin au ras du mur, à l’endroit où Miette sautait.

Justin se trouvait à la porte de Rome, dans la foule, lorsque le gendarme avait emmené les deux prisonniers. Il s’était mis à courir à toutes jambes, faisant le tour par le Jas-Meiffren, ne voulant pas manquer le spectacle de l’exécution. La pensée que, seul des vauriens du faubourg, il verrait le drame à l’aise, comme du haut d’un balcon, lui donnait une telle hâte, qu’il tomba à deux reprises. Malgré sa course folle, il arriva trop tard pour le premier coup de pistolet. Désespéré, il grimpa sur le mûrier. En voyant que Silvère restait, il eut un sourire. Les soldats lui avaient appris la mort de sa cousine, l’assassinat du charron achevait de le mettre en joie. Il attendit le coup de feu avec cette volupté qu’il prenait à la souffrance des autres, mais décuplée par l’horreur de la scène, mêlée d’une épouvante exquise.

Silvère, en reconnaissant cette tête, seule au ras du mur, cet immonde galopin, la face blême et ravie, les cheveux légèrement dressés sur le front, éprouva une rage sourde,