Page:Emile Zola - La Fortune des Rougon.djvu/98

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
LES ROUGON-MACQUART.

queurs. Il avait rompu tout rapport avec son père, le qualifiant en public de vieux fou, de vieil imbécile enjôlé par la noblesse.

— Ma mère est pourtant une femme intelligente, ajoutait-il. Jamais je ne l’aurais crue capable de pousser son mari dans un parti dont les espérances sont chimériques. Ils vont achever de se mettre sur la paille. Mais les femmes n’entendent rien à la politique.

Lui, voulait se vendre, le plus cher possible. Sa grande inquiétude fut dès lors de prendre le vent, de se mettre toujours du côté de ceux qui pourraient, à l’heure du triomphe, le récompenser magnifiquement. Par malheur, il marchait en aveugle ; il se sentait perdu, au fond de sa province, sans boussole, sans indications précises. En attendant que le cours des événements lui traçât une voie sûre, il garda l’attitude de républicain enthousiaste prise par lui dès le premier jour. Grâce à cette attitude, il resta à la sous-préfecture ; on augmenta même ses appointements. Mordu bientôt par le désir de jouer un rôle, il détermina un libraire, un rival de Vuillet, à fonder un journal démocratique, dont il devint un des rédacteurs les plus âpres. L’Indépendant fit, sous son impulsion, une guerre sans merci aux réactionnaires. Mais le courant l’entraîna peu à peu, malgré lui, plus loin qu’il ne voulait aller ; il en arriva à écrire des articles incendiaires qui lui donnaient des frissons lorsqu’il les relisait. On remarqua beaucoup, à Plassans, une série d’attaques dirigées par le fils contre les personnes que le père recevait chaque soir dans le fameux salon jaune. La richesse des Roudier et des Granoux exaspérait Aristide au point de lui faire perdre toute prudence. Poussé par ses aigreurs jalouses d’affamé, il s’était fait de la bourgeoisie une ennemie irréconciliable, lorsque l’arrivée d’Eugène et la façon dont il se comporta à Plassans vinrent le consterner. Il accordait à son frère une grande habileté. Selon lui, ce gros garçon endormi ne sommeillait