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fondie de l’expression, & peut-être celui qui l’ait faite avec plus de soin & de constance.

« La peinture, dit Lépicié, dans son catalogue raisonné des tableaux du Roi, n’ayant, d’autre objet que l’imitation de la nature, & la nature etant infiniment variée, tout ouvrage qui pêchoit par trop d’uniformité ne pouvoit avoir l’approbation de Léonard il faisoit consister la beauté d’un tableau dans cette agréable variété de formes qui, sans doute, est le principal ornement de la nature. Pénétré de ces principes, il se proposa de peindre une assemblée de paysans, dont les ris simples & naïfs pussent se communiquer aux spectateurs : pour y parvenir, il assembla quelques gens de plaisir qu’il invita à dîner ; & lorsque le repas les eut disposés à la joie, il les entretint de contes plaisans qui les animèrent encore davantage : cependant Léonard étudioit leurs gestes, examinoit avec attention les mouvemens de leur visage, & dès qu’il fut libre, il se retira dans son cabinet, où il dessina si parfaitement, de mémoire, cette scène comique, qu’il étoit impossible, suivant Paul Lomazzo, de s’empêcher de rire en la voyant. Cet autenr ajoute que Léonard suivoit les criminels jusqu’au lieu du supplice, pour saisir, sur leurs visages, les impressions de la terreur & de la crainte. Léonard n’étoit pas moins attentif à faire une exacte recherche des physionomies : lorsqu’il rencontroit quelque tête bibarre, il l’auroit suivie tout un jour plutôt que de la manquer. Il avoit toujours sur lui des tablettes, dans lesquelles il rapportoit les objets qui le frappoient le plus vivement : il conseilloit à tous les peintres d’en user de même, & de faire des collections de nez, de bouches, d’oreilles & d’autres parties, de formes & de prorortions différentes, telles qu’on les trouve dans la nature ; c’étoit, selon lui, la meilleure méthode pour représenter les objets avec vérité. Son exemple le prouvoit ; il donnoit à ses portraits la plus grande ressemblance. Les Carraches, & depuis eux plusieurs autres peintres, ne se sont guère exercés à faire des charges que par un simple badinage ; mais Léonard, dont les vues étoient plus étendues & plus solides, avoit pour objet l’étude des passions ».

Ces études de Léonard ne sont pas encore suffisantes pout élever l’artiste jusqu’à l’expression de cette beauté suprême qu’on appelle idéale : mais avant de parvenir à cette expression, il faut savoir rendre celle de la vérité qui en est la base, & sans laquelle, en cherchant l’idéal, on ne trouvera que l’imaginaire. Le procédé de Léonard est donc également utile, & à ceux qui se proposeront


seulement la simple imitation de la nature, & à ceux qui auront l’ambition de l’élever jusqu’au plus haut caractère de la beauté.

Quoique Léonard n’ait point été, dans cette dernière partie, l’égal de Raphaël, on remarque déjà, dans ses ouvrages, du choix & de la grandiosité. Il avoit étudié les belles proportions du corps humain, & en avoit donné des principes. Dans son fameux tableau de la Cène à Milan, dont les figures sont plus grandes que nature, on voit des têtes belles, d’un grand caractère, bien coëffées, des draperies savantes, & un goût général qui tient de fort près à celui de Raphaël. On connoit de lui des portraits finement dessinés & d’une grande vérité d’esset & de couleur. Il avoit l’art d’imprimer à ses ouvrages une longue durée ; il en reste un grand nombre qui semblent nouvellement sortis de dessus le chevalet. Si l’on peut justement lui reprocher de la froideur, ce n’est pas dans ses plus beaux ouvrages ; mais on ne peut non plus louer en lui cette chaleur, aujourd’hui si vantée, qui est le résultat d’une grande vivacité d’exécution, & qui ne peut se rencontrer avec le rendu que jamais Léonard ne s’est permis d’abandonner. Les cartons qu’il dessina pour peindre, conjointement avec Michel-Ange, la grande salle du conseil, sont devenus un objet d’étude pour les plus grands peintres, & Raphaël lui-même, à l’âge de vingt ans, entreprit le voyage de Florence pour les étudier : ces modèles contribuèrent à lui faire abandonner la manière seche & mesquine du Pérugin. Léonard, comme les peintres Grecs, étoit ennemi de la confusion, & pour l’éviter, il n’introduisoit, comme eux, dans ses tableaux, que les figures qui étoient absolument nécessaires à son sujet ; exemple qu’ont suivi les écoles qui se sont distinguées par un caractère de sagesse. Comme il n’eut pas le bonheur de connoître l’antique, il est bien excusable de ne s’être pas élevé au-dessus de la nature qu’il avoit sous les yeux : il se distingua du moins par un grand goût & une grande correction dans l’imitation des modèles qu’il choisissoit.

Entre les tableaux de ce peintre qui appartiennent au Roi, on distingue une sainte famille accompagnée de Saint-Michel, la Vierge & Sainte-Anne, la Vierge tenant l’Enfant-Jésus, mais surtout le portrait de la Joconde, l’un de ses tableaux les plus parfaits. Vasari assure qu’il fut quatre années à le peindre, ce qui rendroit vraisemblable le temps qu’employa Protogenes à peindre son Jalyse. Sa belle conservation est due aux soins que l’artiste a donnés à le faire. On y trouve, dit Lépicié, ces précisions, ces détails & cette imitation parfaite de la nature, dont il avoit toujours fait l’objet de ses savantes réflexions.