Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/33

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médecine se trouve attaché à un hôpital où sont transportés des varioleux ou des cholériques ; le sort l’a désigné : il les soigne sans hésitation. Tant pis pour ceux à qui incombent de telles tâches ; il faut que la société vive, et quant à nous, il est nécessaire que nous la servions, il n’est pas nécessaire que nous ayons nos aises. Le service militaire n’est que l’un des cas extrêmes de cette nécessité générale de la subordination de l’individu au groupe. Il ne faut pas le citer uniquement. Croyezvous, Messieurs, que cette subordination serait acceptée comme elle l’est, si elle n’avait pour principe que les exigences abstraites du travail en général, c’est-à-dire selon les conclusions de notre cher collègue, M. Durkheim, l’obligation professionnelle sans plus, et s’il ne s’y joignait des sentiments d’affection pour une personne sociale déterminée ? C’est elle, c’est cette réalité auguste qui ne se subordonne à aucune autre, raison sociale sous laquelle les forces destructives toujours à l’œuvre sont combattues et les forces créatrices suscitées, ou autorisées, c’est elle qui, selon cette conception, est le principe de toute obligation morale et de toute sanction juridique. Ce n’est pas par hasard que la justice se rend en son nom.

Je n’exagère rien. L’existence des nations comme personnes morales et la croyance à leur dignité supérieure est un fait qui domine l’histoire moderne. Il s’est organisé sous l’empire de cette croyance dans toutes les grandes nations une sorte de culte laïque dont les rites ne laissent indifférents les croyants d’aucune doctrine philosophique, d’aucune religion. C’est naturellement dans l’armée que ce culte est célébré surtout, mais il n’est aucune circonstance quelque peu solennelle de la vie nationale où il ne soit présent. Vu du dehors, il paraît à peu près le même chez tous les peuples civilisés. Mais, au contraire, que de différences profondes entre les sentiments qu’il suscite ¡