Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/36

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risque que les États voisins entrent en conflit, puisque la seule espèce de rapports qui les unissent naissent des intérêts particuliers, pacifiés maintenant. Plus de guerres, plus d’armées les frontières s’effacent et l’espèce humaine tend rapidement à ne former qu’un seul corps homogène dans son ensemble. Telles sont les expressions textuelles de Fichte dans sa Destination de l’homme[1] et sa Destination du savant[2]. Mais cette conception n’est pas propre à Fichte et à l’école de Kant, elle a été adoptée par tous les penseurs du XVIIIe siècle plus ou moins complètement, elle a été, on ne peut le nier, à un moment, l’idéal de la Révolution française et c’est pour cela que cette Révolution a causé dans l’Europe centrale, toute occupée du même rêve, un si profond et si général retentissement.

D’un côté la souffrance et le dévouement, de l’autre le bonheur et la justice de ces deux formes sociales, la seconde n’est-elle pas plus séduisante que la première ? Oui, mais n’oublions pas que c’est à une condition, à la condition de ne pas exister, de ne pas figurer parmi les réalités concrètes. Supprimer le problème de l’alimentation, couper l’adhérence au sol et la liaison avec l’histoire, poser comme point de départ la négation de la main mise sur une partie de la nature et de ses conséquences, qu’est-ce autre chose sinon bâtir dans les nuées et légiférer pour des esprits purs ? Nous la connaissons cette cité des justes ! C’est la République de Platon, c’est la Cité de Dieu de saint Augustin, c’est Y Utopie de Morus et l’Oceana de Harrington, c’est la Cité du soleil de Campanella, c’est la Salente et la Bétique de Fénelon, c’est la société contractuelle de Rousseau, c’est l’Internationale

  1. Pages 267 et 274 de la trad. française.
  2. Pages 33 et 49 de la trad. française.