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chez les mêmes en d’autres moments de leur évolution, les crises renouvelées n’aboutissent qu’à l’énervement et à la langueur. Toute convulsion n’est pas un enfantement et le cataclysme ne saurait être érigé en méthode. Un pays où la natalité décroît et où la dette publique s’élève au chiffre de milliards que vous savez n’a pas d’aventures à courir. Le patriotisme y doit fixer à l’idéalisme sa part. Salus civitatis suprema lex esto !


IV


Faut-il croire, Messieurs — nous abordons ici le problème moral du temps présent — faut-il croire que nous allons assister à l’une de ces crises ?

La guerre de 1870 a été pour notre génération comme un réveil tragique au milieu d’un rêve enchanté. Nous aimions l’humanité tout entière, y compris les sauvages ; nous la voulions toute libre et heureuse en vertu de la Déclaration des Droits de l’Homme. Nous aurions rougi d’un mouvement d’égoïsme national. Les armées permanentes nous indignaient, nous lisions avec enthousiasme dans les œuvres de Fichte son projet de république universelle et nous ne doutions pas que l’accomplissement de la justice totale conformément à l’impératif catégorique ne fût la destination unique et l’œuvre prochaine de toutes les sociétés existant sous le ciel. La guerre éclata. Comme toutes ces chimères s’évanouirent ! Nous nous retrouvions, après la catastrophe, citoyens d’une nation vaincue, c’est-à-dire membres d’un organisme social concret, mutilé, ruiné, humilié à la face du monde, chaque jour