Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/41

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pourtant appris la tolérance a l’école du patriotisme. Où vit-on jamais moins que chez nous pendant cette longue période, de ces disputes métaphysiques aiguës qui laissent après elles d’irrémédiables rancunes ? L’Université française sait que les doctrines philosophiques, même divergentes, sont autant de forces sociales, qu’elles font honneur à un pays, qu’elles provoquent, amplifient ou organisent tous les grands mouvements de la pensée dans la science, dans la pratique et dans l’art. Tel fut toujours notre point de vue, et bien qu’étranger à la philosophie Kantienne, nous vîmes avec satisfaction un enseignement moral inspiré surtout par cette philosophie, prendre possession de nos écoles primaires : pourquoi ? C’est que ces manuels rédigés au nom de l’impératif catégorique préconisaient à chaque page l’amour de la patrie française et le service des intérêts publics. Enfin, la morale nationale trouva dé plus en plus une place dans la conscience religieuse du pays, qui sut s’accommoder — Littré l’a remarqué depuis longtemps — elle qui est par essence universelle et humaine, avec les obligations civiques les plus étroites. Le clergé restait en dehors de ce mouvement : il y entre, Messieurs, à l’heure qu’il est, par ordre soit, mais aussi, je l’ai constaté souvent, non sans une joie profonde, dans mes entretiens avec des prêtres étudiants ou professeurs, spontanément et par l’irrésistible contagion du patriotisme. Plusieurs d’entre eux qui sortent du régiment joignent à la religion du Christ la religion du drapeau. Plusieurs courent en ce moment les derniers périls dans des missions lointaines autant pour la propagande de l’idée française que pour celle de leur foi religieuse. Quelle peine aurions-nous après cela, nous qui ne croyons pas aux mêmes choses, à traiter ces croyants en concitoyens et en frères ?