Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/44

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nal ; nous avons toujours professé que dans la série des organismes sociaux la puissance de la conscience collective est en raison directe de l’énergie des consciences individuelles et que si la réglementation sociale enserre de plus en plus près l’individu sur certains points, sur d’autres comme dans son activité économique, domestique, scientifique et religieuse, elle le laisse de plus en plus maître de lui-même, parce qu’il est des fonctions qui ne sauraient bien s’accomplir administrativement et que dans tout organisme étouffer la spontanéité c’est tarir la source de la vie. L’antinomie entre l’individu et l’État nous a toujours paru être un trompe-l’œil, un fantôme logique. Pratiquement, il n’y a de liberté que là où l’action sociale est très étendue et très forte, et elle est très étendue et très forte quand elle s’appuie, non sur les emportements d’une multitude, mais sur le concours d’associations et de partis solidement organisés.

Voici qu’un nouvel idéal se lève à l’horizon moral de la génération présente : cette harmonie féconde entre nos diverses règles d’action menace de se déconcerter. Que s’est-il donc passé ? Ne cherchons pas, Messieurs, si quelque part ce noble culte auquel des humbles se sacrifiaient n’a pas été trahi, si l’on n’a pas mis au service d’ambitions et de convoitises inavouables le patriotisme lui-même, ou si ce n’est pas plutôt une loi nécessaire que tout mouvement social énergique suscite quelque mouvement en sens contraire. Il a suffi que la sécurité nationale parût se raffermir pour qu’aussitôt le rêve que nous avions rêvé dans notre jeunesse reprît son cours et que la cité sans larmes et sans frontières recommençât à briller dans le mirage des temps prochains. C’est ainsi que la jeune génération, oubliant l’enseignement des deux années funestes, s’est éprise d’une justice absolue et universelle qui ne doit rien à l’histoire ni au droit positif, et qu’elle a