Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/49

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la communauté sera étroite, mieux elle s’acquittera de ce rôle, ou plutôt mieux les citoyens s’en acquitteront directement à sa place ? Pour établir la justice, l’Etat se fragmente ; dès que la justice est établie, il devient inutile ; il se résorbe en ses éléments. Entre le socialisme cosmopolite et l’organisation communale, la corrélation est nécessaire et historique.

Il faut choisir pourtant. Ou c’est la société qui est première dans la série des biens, c’est elle qui est la valeur suprême, et alors il faut que les individus se résignent à supporter la part de fatalités naturelles qui est encore indispensable à son équilibre, part qui peut être réduite graduellement, mais qui ne disparaîtra jamais, s’il est vrai que toute organisation soit impossible entre des êtres Et alors riches et pauvres nous rigoureusement égaux. Et alors riches et pauvres nous devons nous considérer tous comme des moyens pour le maintien et le développement de l’organisme social. Malheur aux riches, mais aussi malheur aux pauvres qui seraient tentés de s’ériger en fins absolues ! — Ou c’est l’individu qui est, comme fin en soi, l’alpha et l’oméga de la politique et de la morale ; et alors, qu’il s’agisse de lui garantir le bien-être ou la justice, le groupe social doit se soumettre à ses exigences, quelque risque qu’il en doive résulter pour la prospérité, pour la sécurité communes, pour la force de l’Etat au dedans et au dehors. Le collectivisme, au double point de vue du bonheur et de l’égalité, revendique pour l’individu le droit de ne se subordonner à rien. C’est donc un véritable individualisme qu’on nous propose sous couleur de socialisme : les extrêmes se rejoignent.

Vous voyez maintenant, Messieurs, la raison qui frappe d’impuissance, à notre avis, les efforts des modernes réformateurs pour l’établissement d’un régime de justice au dedans et au dehors.