Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/52

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collectiviste, absorbé par sa tâche économique, contribuera-t-il à la formation des idées et des sentiments sans lesquels une culture humaine est impossible ? De quelles productions scientifiques et esthétiques sera-t-il capable dans la spécialité de ses fonctions et son exiguité ? Comment abordera-t-il avec quelque chance de succès, lui toujours à la merci des individualités armées dont il est le point de rencontre, l’entreprise d’une organisation juridique avec les communautés voisines ? Quelles institutions relieront sur l’étendue du monde habité la masse confuse de ces atomes humains qui se repoussent ?

Je ne puis m’empêcher de penser que seule la Nation en qui se résument d’immenses intérêts, qui suscite les grandes entreprises, qui tourne sans cesse vers un idéal imposant les efforts de ses membres pour la production de nouveaux chefs-d’œuvre, de nouvelles institutions, de nouveaux modes de penser, de sentir et d’agir, la Nation où s’élaborent des vertus de beaucoup supérieures à l’horizon professionnel, et qui peut obtenir de ses enfants par le prestige de l’amour, des sacrifices réciproques presque sans limites, la Nation enfin, organe exclusif du droit, est capable d’affranchir les hommes, autant que cela est possible, des fatalités naturelles au dedans, de les solidariser avec d’autres familles humaines au dehors, de travailler efficacement en un mot à la multiplication et à l’extension de notre espèce à la surface du globe.

C’est donc par l’attachement, par le dévouement le plus entier à la société concrète dont nous faisons partie, que nous pouvons le plus utilement préparer l’avènement d’une société plus équitable et plus vaste : en servant la patrie, nous servirons l’humanité. Là est la solution de la crise actuelle. Les revendications amères et hautaines, les haines de classes, les polémiques envenimées sont de mauvais précurseurs pour le régime d’harmonie qu’on