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DE GUSTAVE FLAUBERT.

loir comparer mes tracas aux tiens, j’en ai ma petite dose. Je suis si embêté de mon entourage que je n’en ai pas travaillé cet après-midi. C’est ma mère qui pleure, qui s’aigrit de tout, etc. ! (quelle belle invention que la famille !) Elle vient dans mon cabinet m’entretenir de ses chagrins domestiques. Je ne peux la mettre à la porte, mais j’en ai fort envie. Je me suis réservé dans la vie un très petit cercle, mais une fois qu’on entre dedans je deviens furieux, rouge.

J’avais ainsi tout supporté de du Camp. Quand il a voulu l’envahir, j’ai allongé la griffe. Aujourd’hui elle prétend que ses domestiques l’insultent (ce qui n’est pas). Il faut que je raccommode tout, que je les engage à aller faire des excuses quand ils n’ont pas tort. J’en ai plein mon sac, par moments, de tout cela. Je vais être, en outre, dérangé (mais je m’arrangerai pour qu’on ne me dérange pas) par une cousine qui vient ici passer deux mois. Que ne peut-on vivre dans une tour d’ivoire ! Et dire que le fond de tout cela, c’est ce malheureux argent, ce bienheureux métal argent, maître du monde ! Si j’en avais un peu plus, je m’allégerais de bien des choses. Mais, d’année en année, mon boursicot diminue et l’avenir, sous ce rapport, n’est pas gai. J’aurai toujours de quoi vivre, mais pas comme je l’entends. Si mon brave homme de père avait placé autrement sa fortune, je pourrais être sinon riche, du moins dans l’aisance ; et quant à en changer la nature, ce serait peut-être une ruine nette. Quoi qu’il en soit, je n’avais aucun besoin des 200 francs que tu m’as envoyés. Les reveux-tu ? Ma première idée, ce matin, a été de te les renvoyer aussitôt ; mais avec toi, il faut mettre