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DE GUSTAVE FLAUBERT.

premier) charment dans Namouna, cela est-il bon en soi ? Quand l’époque en sera passée, quelle valeur intrinsèque restera-t-il à toutes ces idées qui ont paru échevelées et flatté le goût du moment ? Pour être durable, je crois qu’il faut que la fantaisie soit monstrueuse comme dans Rabelais. Quand on ne fait pas le Parthénon, il faut accumuler des pyramides. Mais quel dommage que deux hommes pareils soient tombés où ils en sont ! Mais s’ils sont tombés, c’est qu’ils devaient tomber. Quand la voile se déchire, c’est qu’elle n’est pas de trame solide. Quelque admiration que j’aie pour eux deux (Musset m’a excessivement enthousiasmé autrefois, il flattait mes vices d’esprit : lyrisme, vagabondage, crânerie de l’idée et de la tournure), ce sont en somme deux hommes du second rang et qui ne font pas peur, à les prendre en entier. Ce qui distingue les grands génies, c’est la généralisation et la création. Ils résument en un type des personnalités éparses et apportent à la conscience du genre humain des personnages nouveaux. Est-ce qu’on ne croit pas à l’existence de Don Quichotte comme à celle de César ? Shakespeare est quelque chose de formidable sous ce rapport. Ce n’était pas un homme, mais un continent ; il y avait des grands hommes en lui, des foules entières, des paysages. Ils n’ont pas besoin de faire du style, ceux-là ; ils sont forts en dépit de toutes les fautes et à cause d’elles. Mais nous, les petits, nous ne valons que par l’exécution achevée. Hugo, en ce siècle, enfoncera tout le monde, quoiqu’il soit plein de mauvaises choses ; mais quel souffle ! quel souffle ! Je hasarde ici une proposition que je n’oserais dire nulle part : c’est que les