Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/110

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Le même ouvrage donne des préceptes de conduite : « Savoir la langue du pays que l’on visitera » ; ils la savaient. « Garder une tenue modeste » ; c’était leur usage. « Ne pas avoir trop d’argent sur soi » ; rien de plus simple. Enfin, pour s’épargner toutes sortes d’embarras, il est bon de prendre « la qualité d’ingénieur ! ».

— Eh bien ! nous la prendrons !

Ainsi préparés, ils commencèrent leurs courses, étaient absents quelquefois pendant huit jours, passaient leur vie au grand air.

Tantôt, sur les bords de l’Orne, ils apercevaient, dans une déchirure, des pans de rocs dressant leurs lames obliques entre des peupliers et des bruyères, ou bien ils s’attristaient de ne rencontrer le long du chemin que des couches d’argile. Devant un paysage, ils n’admiraient ni la série des plans, ni la profondeur des lointains, ni les ondulations de la verdure, mais ce qu’on ne voyait pas, le dessous, la terre ; et toutes les collines étaient pour eux encore une preuve du déluge. À la manie du déluge succéda celle des blocs erratiques. Les grosses pierres, seules dans les champs, devaient provenir de glaciers disparus, et ils cherchaient des moraines et des faluns.

Plusieurs fois on les prit pour des porte-balles, vu leur accoutrement ; et quand ils avaient répondu qu’ils étaient « des ingénieurs », une crainte leur venait : l’usurpation d’un titre pareil pouvait leur attirer des désagréments.

À la fin du jour, ils haletaient sous le poids de leurs échantillons, mais intrépides, les rapportaient chez eux. Il y en avait le long des marches, dans l’escalier, dans la chambre, dans la salle, dans la