Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/18

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Pécuchet fut obligé de s’asseoir sur une borne dans la cour. Puis il rendit le papier en disant lentement :

— Pourvu… que ce ne soit pas… quelque farce !

— Tu crois que c’est une farce ! reprit Bouvard d’une voix étranglée, pareille à un râle de moribond.

Mais le timbre de la poste, le nom de l’étude en caractères d’imprimerie, la signature du notaire, tout prouvait l’authenticité de la nouvelle ; – et ils se regardèrent avec un tremblement du coin de la bouche et une larme qui roulait dans leurs yeux fixes.

L’espace leur manquait. Ils allèrent jusqu’à l’Arc de Triomphe, revinrent par le bord de l’eau, dépassèrent Notre-Dame. Bouvard était très rouge. Il donna à Pécuchet des coups de poing dans le dos, et pendant cinq minutes, déraisonna complètement.

Ils ricanaient malgré eux. Cet héritage, bien sûr, devait se monter…

— Ah ! ce serait trop beau ! n’en parlons plus.

Ils en reparlaient. Rien n’empêchait de demander tout de suite des explications. Bouvard écrivit au notaire pour en avoir.

Le notaire envoya la copie du testament, lequel se terminait ainsi :

« En conséquence, je donne à François-Denys-Bartholomée Bouvard, mon fils naturel reconnu, la portion de mes biens disponible par la loi. »

Le bonhomme avait eu ce fils dans sa jeunesse, mais il l’avait tenu à l’écart soigneusement, le faisant