Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/23

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avait soufflé mot, réservant ce capital pour une grande occasion.

Tout fut payé vers la fin de 1840, six mois avant sa retraite.

Bouvard n’était plus copiste. D’abord, il avait continué ses fonctions par défiance de l’avenir, mais s’en était démis une fois certain de l’héritage. Cependant il retournait volontiers chez les MM. Descambos, et la veille de son départ il offrit un punch à tout le comptoir.

Pécuchet, au contraire, fut maussade pour ses collègues, et sortit, le dernier jour, en claquant la porte brutalement.

Il avait à surveiller les emballages, faire un tas de commissions, d’emplettes encore, et prendre congé de Dumouchel !

Le professeur lui proposa un commerce épistolaire, où il le tiendrait au courant de la littérature ; et après des félicitations nouvelles, lui souhaita une bonne santé.

Barberou se montra plus sensible en recevant l’adieu de Bouvard. Il abandonna exprès une partie de dominos, promit d’aller le voir là-bas, commanda deux anisettes et l’embrassa.

Bouvard, rentré chez lui, aspira sur son balcon une large bouffée d’air en se disant : « Enfin. » Les lumières des quais tremblaient dans l’eau, le roulement des omnibus au loin s’apaisait. Il se rappela des jours heureux passés dans cette grande ville, des pique-niques au restaurant, des soirs au théâtre, les commérages de sa portière, toutes ses habitudes ; et il sentit une défaillance de cœur, une tristesse qu’il n’osait pas s’avouer.

Pécuchet, jusqu’à deux heures du matin, se