Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/231

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gouttes de la pluie tomber du toit par terre. De temps à autre, une feuille morte vient frôler la vitre, puis tournoie et s’en va. Des glas indistincts sont apportés par le vent. Au fond de l’étable, une vache mugit.

Ils bâillaient l’un devant l’autre, consultaient le calendrier, regardaient la pendule, attendaient les repas ; et l’horizon était toujours le même : des champs en face, à droite l’église, à gauche un rideau de peupliers ; leurs cimes se balançaient dans la brume, perpétuellement, d’un air lamentable.

Des habitudes, qu’ils avaient tolérées, les faisaient souffrir. Pécuchet devenait incommode avec sa manie de poser sur la nappe son mouchoir, Bouvard ne quittait plus la pipe, et causait en se dandinant. Des contestations s’élevaient, à propos des plats ou de la qualité du beurre. Dans leur tête-à-tête ils pensaient à des choses différentes.

Un événement avait bouleversé Pécuchet.

Deux jours après l’émeute de Chavignolles, comme il promenait son déboire politique, il arriva dans un chemin, couvert par des ormes touffus, et il entendit derrière son dos une voix crier :

— Arrête !

C’était Mme Castillon. Elle courait de l’autre côté, sans l’apercevoir. Un homme qui marchait devant elle se retourna. C’était Gorju ; et ils s’abordèrent à une toise de Pécuchet, la rangée des arbres les séparant de lui.

— Est-ce vrai ? dit-elle, tu vas te battre ?

Pécuchet se coula dans le fossé, pour entendre :

— Eh bien ! oui, répliqua Gorju, je vais me battre ! Qu’est-ce que ça te fait ?