Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/253

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Elle ne s’y refusa pas. Il s’assit devant elle, lui prit les deux pouces dans ses mains et la regarda fixement, comme s’il n’eût fait autre chose de toute sa vie.

La bonne femme, une chaufferette sous les talons, commença par fléchir le cou ; ses yeux se fermèrent et, tout doucement, elle se mit à ronfler. Au bout d’une heure qu’ils la contemplaient, Pécuchet dit à voix basse :

— Que sentez-vous ?

Elle se réveilla.

Plus tard sans doute la lucidité viendrait.

Ce succès les enhardit, et, reprenant avec aplomb l’exercice de la médecine, ils soignèrent Chamberlan, le bedeau, pour ses douleurs intercostales ; Migraine, le maçon, affecté d’une névrose de l’estomac ; la mère Varin, dont l’encéphaloïde sous la clavicule exigeait, pour se nourrir, des emplâtres de viande ; un goutteux, le père Lemoine, qui se traînait au bord des cabarets ; un phtisique, un hémiplégique, bien d’autres. Ils traitèrent aussi des coryzas et des engelures.

Après l’exploration de la maladie, ils s’interrogeaient du regard pour savoir quelles passes employer, si elles devaient être à grands ou à petits courants, ascendantes ou descendantes, longitudinales, transversales, biditiges, triditiges ou même quinditiges. Quand l’un en avait trop, l’autre le remplaçait. Puis, revenus chez eux, ils notaient les observations sur le journal du traitement.

Leurs manières onctueuses captèrent le monde. Cependant on préférait Bouvard, et sa réputation parvint jusqu’à Falaise, quand il eut guéri la Barbée,