Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/270

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de sa longue misère une faim irrassasiable. Les bêtes mortes de maladie, du lard en pourriture, un chien écrasé, tout lui convenait, pourvu que le morceau fût gros ; et il était doux comme un mouton, mais entièrement stupide.

La reconnaissance l’avait poussé à s’offrir comme serviteur chez MM. Bouvard et Pécuchet ; et puis, les croyant sorciers, il espérait des gains extraordinaires.

Dès les premiers jours, il leur confia un secret. Sur la bruyère de Poligny, autrefois, un homme avait trouvé un lingot d’or. L’anecdote est rapportée dans les historiens de Falaise ; ils ignoraient la suite : douze frères, avant de partir pour un voyage, avaient caché douze lingots pareils, tout le long de la route, depuis Chavignolles jusqu’à Bretteville, et Marcel supplia ses maîtres de recommencer les recherches. Ces lingots, se dirent-ils, avaient peut-être été enfouis au moment de l’émigration.

C’était le cas d’employer la baguette divinatoire. Les vertus en sont douteuses. Ils étudièrent la question cependant, et apprirent qu’un certain Pierre Garnier donne, pour les défendre, des raisons scientifiques : les sources et les métaux projetteraient des corpuscules en affinité avec le bois.

Cela n’est guère probable. Qui sait pourtant ? Essayons !

Ils se taillèrent une fourchette de coudrier, et un matin partirent à la découverte du trésor.

— Il faudra le rendre, dit Bouvard.

— Ah ! non ! par exemple !

Après trois heures de marche, une réflexion les arrêta : La route de Chavignolles à Bretteville !