Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/274

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Bouvard tirait ses arguments de Lamettrie, de Locke, d’Helvétius ; Pécuchet de M. Cousin, Thomas Reid et Gérando. Le premier s’attachait à l’expérience, l’idéal était tout pour le second. Il y avait de l’Aristote dans celui-ci, du Platon dans celui-là, et ils discutaient.

— L’âme est immatérielle ! disait l’un.

— Nullement ! disait l’autre, la folie, le chloroforme, une saignée la bouleversent et puisqu’elle ne pense pas toujours, et elle n’est point une substance ne faisant que penser.

— Cependant, objecta Pécuchet, j’ai en moi-même quelque chose de supérieur à mon corps, et qui parfois le contredit.

— Un être dans l’être ? l’homo duplex ! allons donc ! des tendances différentes révèlent des motifs opposés. Voilà tout.

— Mais ce quelque chose, cette âme, demeure identique sous les changements du dehors ! Donc elle est simple, indivisible et partant spirituelle !

— Si l’âme était simple, répliqua Bouvard, le nouveau-né se rappellerait, imaginerait comme l’adulte. La pensée, au contraire, suit le développement du cerveau. Quant à être indivisible, le parfum d’une rose ou l’appétit d’un loup, pas plus qu’une volition ou une affirmation ne se coupent en deux.

— Ça n’y fait rien ! dit Pécuchet, l’âme est exempte des qualités de la matière !

— Admets-tu la pesanteur ? reprit Bouvard. Or, si la matière peut tomber, elle peut de même penser. Ayant eu un commencement, notre âme doit finir et, dépendante des organes, disparaître avec eux.