Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/290

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L’homme à la soutane s’assit près d’eux, et Pécuchet aborda le christianisme.

— Aucune religion n’a établi aussi bien cette vérité : « La nature n’est qu’un moment de l’idée ! »

— Un moment de l’idée ! murmura le prêtre, stupéfait.

— Mais oui ! Dieu, en prenant une enveloppe visible, a montré son union consubstantielle avec elle.

— Avec la nature ? oh ! oh !

— Par son décès, il a rendu témoignage à l’essence de la mort ; donc, la mort était en lui, faisait, fait partie de Dieu.

L’ecclésiastique se renfrogna.

— Pas de blasphèmes ! c’était pour le salut du genre humain qu’il a enduré les souffrances.

— Erreur ! On considère la mort dans l’individu, où elle est un mal sans doute, mais relativement aux choses, c’est différent. Ne séparez pas l’esprit de la matière !

— Cependant, monsieur, avant la création…

— Il n’y a pas eu de création. Elle a toujours existé. Autrement ce serait un être nouveau s’ajoutant à la pensée divine, ce qui est absurde.

Le prêtre se leva, des affaires l’appelaient ailleurs.

— Je me flatte de l’avoir crossé ! dit Pécuchet. Encore un mot ! Puisque l’existence du monde n’est qu’un passage continuel de la vie à la mort, et de la mort à la vie, loin que tout soit, rien n’est. Mais tout devient, comprends-tu ?

— Oui ! je comprends, ou plutôt non !

L’idéalisme, à la fin, exaspérait Bouvard.

— Je n’en veux plus ; le fameux cogito m’embête.