Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/297

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amas de couleur terreuse, et qui semblait palpiter, tant grouillait dessus la vermine. Elle s’agitait, frappée par le soleil, sous le bourdonnement des mouches, dans cette intolérable odeur, odeur féroce et comme dévorante.

Cependant Bouvard plissait le front et des larmes mouillèrent ses yeux.

Pécuchet dit stoïquement :

— Nous serons un jour comme ça !

L’idée de la mort les avait saisis. Ils en causèrent, en revenant.

Après tout, elle n’existe pas. On s’en va dans la rosée, dans la brise, dans les étoiles. On devient quelque chose de la sève des arbres, de l’éclat des pierres fines, du plumage des oiseaux. On redonne à la Nature ce qu’elle vous a prêté et le Néant qui est devant nous n’a rien de plus affreux que le Néant qui se trouve derrière.

Ils tâchaient de l’imaginer sous la forme d’une nuit intense, d’un trou sans fond, d’un évanouissement continu ; n’importe quoi valait mieux que cette existence monotone, absurde et sans espoir.

Ils récapitulèrent leurs besoins inassouvis. Bouvard avait toujours désiré des chevaux, des équipages, les grands crus de Bourgogne, et de belles femmes complaisantes dans une habitation splendide. L’ambition de Pécuchet était le savoir philosophique. Or le plus vaste des problèmes, celui qui contient les autres, peut se résoudre en une minute. Quand donc arriverait-elle ?

— Autant tout de suite en finir.

— Comme tu voudras, dit Bouvard.

Et ils examinèrent la question du suicide.

Où est le mal de rejeter un fardeau qui vous