Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/321

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fait-il que l’on doive remercier Dieu pour le bienfait de l’existence ? Quelle mesure garder entre la crainte indispensable au salut, et l’espérance qui ne l’est pas moins ? Où est le signe de la grâce ? etc.

Les réponses de M. Jeufroy étaient simples :

— Ne vous tourmentez pas. À vouloir tout approfondir, on court sur une pente dangereuse.

Le Catéchisme de persévérance, par Gaume, avait tellement dégoûté Bouvard qu’il prit le volume de Louis Hervieu. C’était un sommaire de l’exégèse moderne défendu par le gouvernement. Barberou, comme républicain, l’avait acheté.

Il éveilla des doutes dans l’esprit de Bouvard, et d’abord sur le péché originel.

— Si Dieu a créé l’homme peccable, il ne devait pas le punir, et le mal est antérieur à la chute puisqu’il y avait déjà des volcans, des bêtes féroces. Enfin ce dogme bouleverse mes notions de justice.

— Que voulez-vous ? disait le curé, c’est une de ces vérités dont tout le monde est d’accord, sans qu’on puisse en fournir de preuves ; et nous-mêmes, nous faisons rejaillir sur les enfants les crimes de leurs pères. Ainsi les mœurs et les lois justifient ce décret de la Providence, que l’on retrouve dans la nature.

Bouvard hocha la tête. Il doutait aussi de l’enfer.

— Car tout châtiment doit viser à l’amélioration du coupable, ce qui devient impossible avec une peine éternelle ; et combien l’endurent ! Songez donc, tous les anciens, les juifs, les musulmans, les idolâtres, les hérétiques et les enfants morts