Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/336

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— Ceux-là étaient faux, encore un coup ! Pas de miracles en dehors de l’Église !

— Tiens ! se dit Pécuchet, même argument que pour les martyrs : la doctrine s’appuie sur les faits et les faits sur la doctrine.

M. Jeufroy, ayant bu un verre d’eau, reprit :

— Tout en les niant, vous y croyez. Le monde que convertissent douze pêcheurs, voilà, il me semble, un beau miracle !

— Pas du tout !

Pécuchet en rendait compte d’une autre manière.

— Le monothéisme vient des Hébreux, la Trinité des Indiens, le Logos est à Platon, la Vierge mère à l’Asie.

N’importe ! M. Jeufroy tenait au surnaturel, ne voulait que le christianisme pût avoir humainement la moindre raison d’être, bien qu’il en vît chez tous les peuples des prodromes ou des déformations. L’impiété railleuse du XVIIIe siècle, il l’eût tolérée ; mais la critique moderne, avec sa politesse, l’exaspérait.

— J’aime mieux l’athée qui blasphème, que le sceptique qui ergote !

Puis il les regarda d’un air de bravade, comme pour les congédier.

Pécuchet s’en retourna mélancolique. Il avait espéré l’accord de la foi et de la raison.

Bouvard lui fit lire ce passage de Louis Hervieu :

« Pour connaître l’abîme qui les sépare, opposez leurs axiomes :

« La raison vous dit : Le tout enferme la partie, et la foi vous répond : Par la substantiation, Jésus