Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/35

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devaient être coniques et les bottes faites immédiatement sur place, puis entassées par dizaines. Quant au râteleur anglais, la prairie était trop inégale pour un pareil instrument.

Une petite fille, les pieds nus dans des savates, et dont le corps se montrait par les déchirures de sa robe, donnait à boire aux femmes, en versant du cidre d’un broc qu’elle appuyait contre sa hanche. Le comte demanda d’où venait cette enfant ; on n’en savait rien. Les faneuses l’avaient recueillie pour les servir pendant la moisson. Il haussa les épaules et, tout en s’éloignant, proféra quelques plaintes sur l’immoralité de nos campagnes.

Bouvard fit l’éloge de sa luzerne. Elle était assez bonne, en effet, malgré les ravages de la cuscute ; les futurs agronomes ouvrirent les yeux au mot cuscute. Vu le nombre de ses bestiaux, il s’appliquait aux prairies artificielles ; c’était d’ailleurs un bon précédent pour les autres récoltes, ce qui n’a pas toujours lieu avec les racines fourragères.

— Cela du moins me paraît incontestable.

Bouvard et Pécuchet reprirent ensemble :

— Oh ! incontestable.

Ils étaient sur la limite d’un champ soigneusement ameubli : un cheval que l’on conduisait à la main traînait un large coffre monté sur trois roues. Sept coutres, disposés en bas, ouvraient parallèlement des raies fines, dans lesquelles le grain tombait par des tuyaux descendant jusqu’au sol.

— Ici, dit le comte, je sème mes turneps. Le turnep est la base de ma culture quadriennale.

Et il entamait la démonstration du semoir. Mais